Dr Aly Tounkara : « l’élite militaire au pouvoir au Mali a désacralisé la présence militaire française au Sahel »

Le Tchad a annoncé le jeudi 28 novembre dernier, la rupture des accords de défense avec la France. Les nouvelles autorités sénégalaises sont aussi dans cette logique. Dr Aly Tounkara, expert sur les questions de défense et de sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) livre ici son analyse sur cette décision qui constitue un coup dur pour la France.

Le chercheur avancetrois raisons pour lesquelles, le Tchad a demandé le départ des forces françaises de son territoire. Selon lui, le président tchadien lui-même affirme que cette présence militaire française n’avait plus sa raison d’être car elle n’apporte plus de plus-value ni à l’option tactique ni à l’option opérationnelle de l’Armée tchadienne. Laquelle est souvent seule dans des endroits où elle aurait aimé être accompagnée par les militaires français, mais tel n’était pas le cas. De ce fait, pour la Présidence tchadienne, cette présence française était inutile. La deuxième raison que Dr Aly Tounkara évoque est que la présence militaire française était perçue par une bonne partie de l’opinion tchadienne comme une atteinte grave et une entorse à la souveraineté du pays. Il rappelle que beaucoup de critiques avaient été adressées dans ce sens aux autorités tchadiennes. D’où cette décision qui est une façon d’affirmer la souveraineté du Tchad et de se soustraire de tout format de diktat. La troisième raison que l’expert du CE3S avance pour comprendre ce retrait est le cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger. D’après lui, des politiques tchadiens, des acteurs de la société civile ont à un moment, demandé le départ de troupes françaises du territoire tchadien. Laquelle demande n’avait pas eu d’écho favorable jusqu’ici. « C’est une façon pour le président Mahamat Idriss Deby Itno de répondre à ces demandes pressantes qui venaient des acteurs de la société civile, des chercheurs et même des politiques. Cette opposition qui a toujours dénoncé cette présence militaire française sur le territoire tchadien », analyse Dr Tounkara.

Se soustraire de l’influence française

L’expert explique par ailleurs que le Tchad a voulu se soustraire de l’influence française pour élargir son choix de partenariat. D’après Aly Tounkara, des partenaires comme les russes et les turcs ont commencé à sérieusement investir le Tchad. Et la venue des tels partenaires n’est pas appréciée par la France. Il soutient que le Tchad entend asseoir sa souveraineté, élargir son partenariat à qui il le veut ou le réduire à qui il le souhaite sans subir de pression de la part d’acteurs extra-sahéliens ou extra-communautaires. Pour lui, c’est une façon de marquer sa rupture avec la France et de ne plus rester inféodé à une quelconque puissance.

Parlant du cas du Sénégal, Aly Tounkara dira que si le président Bassirou Diomaye Faye n’a pas souligné la fin irrévocable de la présence militaire française dans son pays, tout laisse entendre que des discussions dans les couloirs sont en cours pour que la France puisse se retirer définitivement du Sénégal. « Ce retrait pourrait intervenir dans la douceur car l’intention des nouvelles autorités sénégalaises est déjà connue à propos de cela », a indiqué Dr Aly Tounkara. Il rappelle à cet effet que plusieurs sorties fracassantes du Premier ministre Ousmane Sonko n’ont pas manqué de marteler la nécessité que les troupes étrangères quittent définitivement le sol sénégalais. Dr Tounkara pense que le retrait français dans le contexte sénégalais pourrait se faire dans un intervalle court mais avec douceur parce que beaucoup de discussions se mènent déjà hors micro.

Du point de vue analytique, il soutient que l’acte de dénonciation acté par les militaires au pouvoir au Mali a influencé les autres Etats de la région. Pour lui, l’agir de l’élite militaire au pouvoir au Mali a désacralisé la présence militaire française dans le Sahel. Cela a aussi suscité une sorte de prise conscience qui a occasionné une ruée vers l’autonomie et la souveraineté de part et d’autre. Et le Mali est considéré comme le fil conducteur de ce sentiment d’autonomisation et de souveraineté sans être à la solde d’une puissance.

Le chercheur pense que le président français Emmanuel Macron a trouvé les germes réunis mais ses manquements ont contribué à accélérer la rupture avec l’ancienne puissance coloniale. Malgré cette situation, Dr Aly Tounkara est convaincu que la France pourrait toujours rectifier le tir si elle accepte de s’inscrire dans un rapport gagnant-gagnant et de voir l’autre comme son égal. Selon lui, tout pourrait reprendre dans des termes beaucoup plus courtois avec des relations plus fructueuses pour la France et ses ex-colonies. 

F. Sissoko