Le 14 novembre 2023, la Direction de l’Information et des Relations Publiques (DIRPA), organe de communication des Forces Armées Maliennes (FAMa), dans un communiqué confirme la rentrée de l’armée malienne à Kidal, mettant ainsi fin à près d’une décennie d’absence effective et réelle de l’État du Mali dans l’Adrar des Iforas. En effet, après des bombardements intenses qui ont duré quelques jours, les FAMa ont pu se frayer un chemin vers la ville de Kidal, épicentre d’une partie des mouvements armés signataires de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger et des groupes armés terroristes, notamment les hommes du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans- GSIM, incarné par le terroriste malien Iyad Ag Ghali. Il convient de rappeler que, depuis mars 2023, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM, ou JNIM selon son acronyme en arabe, affilié à Al-Qaïda) et l’État islamique au Sahel sont engagés dans des combats d’une rare violence pour asseoir leur « légitimité » et assurer, par ricochet, le contrôle territorial dans la zone de trois frontières. Ces combats font rage dans des localités comme Tinzawatene, Ménaka, Tidermène et Achibogho où les populations civiles sont massacrées et fuient vers les villes environnantes (Ménaka, Gao, Kidal etc.).
Dans ce contexte, le retour de l’armée dans la ville de Kidal, après la rétrocession de certains camps occupés par la MINUSMA dans le cadre du processus de retrait de cette dernière du Mali, a été accueilli, partout sur le territoire national, par une liesse et une euphorie populaires et a bénéficié du soutien de la classe politique et de la société civile. Cependant, malgré l’euphorie liée à ce succès, le retour de l’armée, du coup de la souveraineté du Mali sur la ville de Kidal, ne doit pas passer sous silence les nombreux défis qui se posent au Mali.
Des équations à plusieurs inconnues à l’immensité des défis à relever
La région de Kidal dont la gouvernance a été ponctuée par des troubles politico-sécuritaires de plusieurs ordres depuis l’indépendance est-elle dans le sillage d’un retour paisible dans la gouvernance générale de l’Etat malien ? Le Cadre stratégique Permanent (CSP) ou le Cadre Stratégique Permanent pour la Paix, la Sécurité et le Développement (CSP-PSD), l’organe qui, un moment, a essayé de regrouper les parties signataires de l’accord pour la paix et la réconciliation (2015), à savoir les mouvements signataires et le Gouvernement, sous forme d’un cadre inter malien de création de confiance, ne compte plus, en son sein, depuis un certain temps, que la Coordination des Mouvements de l’Azawad et ses démembrements. Des mouvements s’en sont retirés avant le démarrage des affrontements avec les FAMas, d’autres après le déclenchement des opérations. Tous les mouvements signataires ont rejeté la reprise des hostilités et ont ouvertement accusé la CMA d’être le principal instigateur de cette reprise à travers son rejet de la rétrocession des camps de la MINUSMA aux autorités du Mali. Le CSP-PSD, de son coté, a essayé de justifier son attitude par un accord de cessez-le-feu datant de 2014. Comme on peut le constater, cette divergence de position des mouvements armés sur les événements atteste aussi d’une nouvelle structuration voire « déstructuration » des mouvements pouvant s’expliquer par la multiplicité des acteurs sur le terrain mais aussi la puissance de feu de l’armée malienne, qui a de nouveaux vecteurs aériens qui ont été déterminants dans toutes les opérations ayant opposé l’armée au « CSP-PSD » à Ber, Bourem ou Annefis. Cependant, le retour de l’armée à Kidal annonce-t-il l’engagement d’une nouvelle dynamique de paix ou l’amorce de vastes opérations de harcèlement et d’attaques dirigés contre les FAMa pour saper le moral des troupes sur le long terme ? Quid du comportement que devraient/pourraient adopter les groupes armés terroristes œuvrant dans les zones anciennement sous le contrôle des mouvements armés ? Il est de notoriété publique que le lien fonctionnel entre certains mouvements signataires et les groupes armés terroristes a toujours existé avant et durant la signature et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Mais, il convient de s’interroger sur la mutation potentielle de ce lien dans un contexte désormais sous le contrôle du Mali à travers son armée. Evoluerait- 3 on vers un retour des « Maliens » membres des groupes terroristes dans un nouveau processus de dialogue avec l’Etat malien ? Cela vaudrait-il aussi pour l’EI-Sahel, pris dans l’étau des pays de l’Alliance des Etats du Sahel qui ont fait de la lutte contre le terrorisme un point central de la création de ce cadre ? Le retour de l’armée malienne à Kidal serait-il à la base du changement de gouvernance de l’EI-Sahel, changement constaté dans certaines zones où l’EI-Sahel aurait assoupli ses méthodes de gestion des localités afin de conquérir le « cœur » des communautés à la base, évitant de s’imposer uniquement par la force comme à l’accoutumée. La reprise des hostilités entre le gouvernement du Mali et une partie du « CSP-PSD » se passe également dans un contexte où aucune partie n’a encore dénoncé l’Accord pour la paix, ce qui permet d’imaginer un retour à la table de la mise en œuvre dudit accord. Mais les rapports de force n’étant plus les mêmes sur le terrain, la situation actuelle différant de celle de 2014, les protagonistes pourraient-ils revenir à l’Accord, sans concession, surtout que la MINUSMA en charge d’accompagner le processus de mise en œuvre parachève son retrait du Mali au 31 décembre 2023 ? Aujourd’hui, les interrogations paraissent plus nombreuses que les solutions qu’offre le terrain. Mais il serait intéressant d’aller à des retrouvailles entre maliens, sans exclusive, pour tracer ensemble la nouvelle trajectoire de paix durable car la guerre affectera, à long terme, les communautés/populations dont les besoins fondamentaux ne pourraient plus être assurés. Autant de questions qui soulèvent l’immensité et l’urgence des défis qui se posent aux autorités de la Transition qui ont permis, à plus d’un Malien, de nourrir l’espoir d’une possible fin irrévocable des rebellions récurrentes et l’éradication de la nébuleuse terroriste.
Perspectives d’avenir
Les actions militaires en cours permettent certes, par moment et par endroit, de porter des coups durs aux groupes armés terroristes et aux mouvements armés indépendantistes. Cependant, au regard du déni fragrant autour de la question identitaire dans les crises successives, il serait pertinent de réinterroger la place du rapport à l’identité. Les populations majoritairement du teint clair (Touaregs, Arabes et Maures) ont le sentiment d’être discriminées, voire lésées par l’État central. Tandis que les communautés sédentaires majoritairement noires estimeraient que les premières seraient dans un sentiment de supériorité et de mépris vis-à-vis des peaux 4 « noires ». Ces perceptions sont réelles dans les régions en proie aux attaques terroristes et aux conflits locaux. Or, ni les réponses institutionnelles (accords pour la paix) ni celles émanant des communautés n’interrogent avec courage cette dimension dans les processus de résolution desdites crises. En effet, l’argumentaire du sous-développement évoqué çà et là pour saisir les dynamiques conflictuelles souffre de pertinence et d’efficacité quand on sait que les services sociaux de base ne sont délivrés ni en qualité, ni en quantité dans aucune partie du territoire national. Donc, les causes profondes des crises sont à rechercher et à analyser sans complaisance. – La définition d’un « idéal type » de l’Homme malien demeure une urgence et une nécessité absolue afin de léguer un récit commun à tous les citoyens dès à bas âge. En outre, les chefs rebelles et les leaders terroristes sont enviés, adulés et vénérés dans les régions desdites Nord du Mali par une certaine catégorie des populations au travers des mécanismes de socialisation afin de susciter auprès des jeunes générations le sentiment du rejet d’un État « tortionnaire » et discriminatoire. Il urge de d’inventer une conscience collective et de la partager. – L’impérieuse nécessité de mettre en place une cohorte d’experts dans tous les domaines du possible pour un éventuel dialogue constructif avec les groupes terroristes et mouvements armés scissionnistes. Ces experts devraient être des femmes et des hommes dont l’expertise dans leur domaine ne devait souffrir l’ombre d’aucun doute. En effet, la composition des équipes antérieures qui ont abouti à des accords de (pour la) paix aurait obéit peu à des critères rigoureux et plausibles. D’où des diagnostics biaisés et partisans qui sous-tendraient le pourquoi de la non-effectivité des accords jusqu’ici signés. Ces experts auront la charge de conduire le potentiel dialogue avec les entrepreneurs de la violence.
Dr Aly Tounkara, expert des questions de paix, de sécurité et de l’Islam politique