Dr Aly Tounkara sur les évènements de Tinzaouatène : « Désormais, l’ennemi a un visage indépendantiste, terroriste et géopolitique »

Les 25 et 26 juillet derniers, les Forces armées maliennes (FAMa) ont fait l’objet d’attaques de la part d’une coalition terroriste à Tinzaouatène. Ces attaques ont causé un nombre important de pertes en vies humaines et matérielles selon un communiqué de l’état-major général des Armées. Par la suite, des officiels ukrainiens ont reconnu le soutien de leur pays aux terroristes responsables de ces attaques contre l’Armée malienne. Dans les lignes qui suivent, Dr Aly Tounkara, expert sur les questions de défense, de sécurité et de paix au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) livre son analyse sur cette nouvelle donne dans la crise sécuritaire au Mali et au Sahel de façon générale. 

Pour l’enseignant-chercheur, les évènements de Tinzaouatène sont une illustration parfaite de toutes les hypothèses qui incriminaient la main de l’étranger dans l’exacerbation des tensions à la fois entre les groupes terroristes, les groupes indépendantistes et l’Etat du Mali. Au-delà de cette exacerbation de tension, Dr Aly Tounkara dira que ces évènements interrogent la sincérité des pays voisins. Selon lui, lorsque des pays frontaliers ne jouent pas franc-jeu, naturellement ils peuvent constituer une sorte de réservoir ou de quartier général pour les entrepreneurs de la violence. Au-delà des affrontements violents auxquels l’on assiste entre l’Armée malienne et les groupes radicaux violents à Tinzaouatène, le chercheur estime que ce sont aussi des questions de frontières et de géopolitique qui sont soulevées et évoquées. D’après lui, il s’agit de comprendre combien la crise en Ukraine s’est clairement transportée ou a migré vers le Sahel. « Cette crise entre la Russie et l’Ukraine est aujourd’hui présente dans le dossier malien », a indiqué l’expert du CE3S, qui soutient que le soutien factuel que l’Ukraine apporté aux groupes terroristes et aux anciens indépendantistes est un témoignage éloquent que ce pays est dans une entreprise peu orthodoxe dans le Sahel au nom de la lutte contre le terrorisme et du positionnement géopolitique.

Un ennemi avec trois visages

« Cette irruption de l’Ukraine dans le Nord du Mali constitue un tournant important dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Dorénavant, l’ennemi a trois visages : un visage indépendantiste, un visage terroriste et un visage géopolitique », a analysé Dr Tounkara, qui pense que ces trois visages réunis vont clairement rendre le conflit davantage complexe et dynamique à l’encontre de l’Etat du Mali. D’où, selon lui, la nécessité aujourd’hui de jouer sur tous les leviers possibles et de trouver une sorte de pondération entre l’urgence sécuritaire et la nécessité d’avoir un certain nombre d’alliés en l’occurrence l’Algérie et la Mauritanie. Aly Tounkara trouve que quels que soient les efforts consentis en termes d’équipements, de formation des hommes et même de collecte de renseignements, tant que le soutien de ces deux Etat n’est pas acquis, ils ne vont pas jouer franc-jeu. Et il va être difficile d’arriver à bout de la nébuleuse terroriste. Ainsi, il dira qu’au-delà des affrontements violents entre l’armée malienne et les groupes terroristes, le combat doit être aussi mené sur le plan diplomatique en vue de rapprocher la position du Mali à celle de l’Algérie et de la Mauritanie. Le chercheur prévient que des informations factuelles laissent entendre que l’Algérie, à défaut d’être un soutien à ces groupes terroristes, fermerait les yeux sur leurs actions. Avec cet état de fait, dira-t-il, on ne peut obtenir un résultat satisfaisant que par les canaux diplomatiques.

« Les armes à elles seules auront du mal à avoir raison sur ces enjeux frontaliers, sur ce climat tendu du point de vue diplomatique entre le Mali et l’Algérie et entre le Mali et la Mauritanie à certains égards », souligne Aly Tounkara. Pour lui, parallèlement à la lutte contre le terrorisme, il est de la responsabilité de l’Etat du Mali de faire en sorte que la diplomatie soit plus offensive positivement. Au nom de la realpolitik, il conseille de faire entorse à certaines valeurs de souveraineté en vue de se positionner vis-à-vis de l’ennemi.

Le chercheur pense que ce soutien affiché de l’Ukraine à des groupes terroristes va plutôt avoir des conséquences sur ce pays lui-même. Pour le Mali, il dira qu’il n’y a pas de conséquences à ce stade. Car il ne compte que quelques étudiants qui étudient en Ukraine à titre privé. Mais pour le cas de l’Ukraine, Aly Tounkara soutient que ce pays va avoir affaire à certains de ses alliés. D’après lui, avec ce soutien affiché aux terroristes, il ne serait pas étonnant que certains parlementaires des pays occidentaux demandent à leurs dirigeants, à défaut de suspendre leur soutien à l’Ukraine, de le nuancer. « C’est l’Ukraine qui sortirait perdante dans ce dossier malien pour qui connait tout l’étiquetage autour du soutien aux terroristes », prévient le chercheur, qui trouve que ce pays s’est inscrit dans une position très embarrassante vis-à-vis de ses partenaires qui sont les Etats-Unis et les autres pays européens. « Le fait d’afficher son soutien sans ambiguïté à des groupes terroristes pourrait amener les Etats qui sont liés aux fondamentaux de la démocratie à réinterroger leur soutien en faveur de l’Ukraine », a analysé Dr Aly Tounkara.

Fily Sissoko