Qu’est-ce qui explique le départ précipité de la Minusma de Tessalit, Aguelhoc et Kidal contrairement aux autres emprises de la Mission ? Le Mali a-t-il été trahi par la Mission onusienne ? Avec ce retrait anticipé de Kidal sans rétrocession du camp à l’Armée malienne, à quoi faut-il s’attendre ? Voici autant de questions sur lesquelles, Dr Aly Tounkara, expert sur les questions de défense et de sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) livre son analyse.
Pour le chercheur, le retrait anticipé de la Minusma de Tessalit, d’Aguelhoc et de Kidal est une illustration parfaite du jeu trouble de la Mission onusienne. Selon Dr Aly Tounkara, en se référant au chronogramme discuté, partagé et accepté par les parties malienne et onusienne, tout laissait croire que comme pour les autres localités, les emprises allaient être rétrocédées à l’Armée malienne. Le chercheur dira que des arguments allant dans le sens d’un environnement de plus en plus hostile ont été avancés. Aussi, il soutient que les pressions exercées par les pays contributeurs dont les ressortissants sont présents dans la Mission sont des éléments qui sont brandis par la Minusma pour justifier ces retraits. Pour l’expert, lorsqu’on regarde de façon désintéressée ces localités, on comprend aisément qu’elles ont vu durant près de 10 ans, une sorte de complicité entre certains éléments de la Minusma et les groupes radicaux violents y compris les mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation.
Dr Aly Tounkara dira que cette duplicité est sans appel lorsqu’on regarde la manière et la vitesse avec laquelle, ces emprises ont été occupées et investies par les mouvements signataires en accointance avec les groupes radicaux violents. Un autre élément qui explique cette rétrocession précipitée des camps entre les mains des mouvements armés et des groupes terroristes est le fait que pour les Nations unies, le départ de la Minusma n’a pas été concerté et discuté. « Cela a été un coup dur pour la Mission. De ce fait, c’est une façon pour la Mission de se venger du Mali, de ne pas respecter le calendrier initialement discuté et accepté afin que l’Etat du Mali se retrouve aux abois notamment dans sa tentative de reconquête de ces localités qui étaient sous le contrôle des mouvements armés et des groupes terroristes », analyse Dr Tounkara. D’après lui, c’est une façon pour les Nations unies de porter aussi un coup dur à l’Etat du Mali et de revenir sur l’affront qu’elles ont subi avec un départ imposé à la Minusma. Pour l’enseignant-chercheur, ce départ n’était pas du tout attendu surtout au sommet de la Mission.
« Au regard de la composition de la Minusma, du rôle et des places qu’occupent les pays membres, il va de soi que la géopolitique ait une incidence sur ce départ prématuré de la Mission dans ces localités qui constituent une sorte de Quartier général à la fois pour les mouvements signataires de l’Accord pour la paix et pour les groupes radicaux violents avec le référentiel musulman », a soutenu l’expert défense et sécurité du CE3S. Il précise que ces départs prématurés de la Minusma sont un témoignage éloquent que la Mission est traversée par des agendas et des finalités qui ne seraient pas en phase avec ceux de l’Etat malien. Parlant du cas spécifique de Kidal, Dr Aly Tounkara pense que ce départ anticipé sans rétrocéder le camp à l’Armée malienne va conduire à trois scenarii. Selon lui, le premier scenario est que c’est une sorte de déclaration de guerre imposée à l’Etat du Mali pour récupérer une partie du territoire qui se trouve entre les mains des acteurs qui n’ont aucune légitimité ni géographique, ni culturel, ni même ethnique. Pour le chercheur, lorsqu’on regarde la cartographie des acteurs qui sont à l’origine de la rébellion de 2012, émaillée par l’immixtion du terrorisme, ce sont des acteurs qui restent marginaux du point de vue numérique. Aussi, ce sont des gens qui ont agi au nom d’une éclatante majorité qui a été mise sur la touche par la force des armes. Le deuxième scenario qu’il a avancé est que ce départ anticipé de la Minusma est une sorte de quitus accordé aux mouvements signataires et aux groupes terroristes d’exercer pleinement leur gouvernance dans cette région en lieu et place de l’Etat qui est le seul acteur habilité et légitime. Le troisième scenario est que la Minusma voudrait laver l’affront infligé par l’Etat du Mali à son encontre avec son départ sans que cela ne fasse l’objet de discussions préalables au siège des Nations unies. « Pour les Nations unies, c’est une occasion à ne pas rater de mettre l’Etat malien dans une situation délétère, dans une situation humanitaire et sécuritaire très désastreuse pour qu’au bout du compte, les populations au nom desquelles, le gouvernement se bat, finissent par se soustraire de sa gouvernance, se désolidarisent de tout ce qui est symbole de l’Etat… », a indiqué Dr Tounkara. Selon lui, cela constituerait une sorte de voie pour les mouvements sécessionnistes, une sorte d’opportunité à saisir afin de relancer la rébellion de 2012 dont la survivance est observable dans les localités qui viennent d’être abandonnées par la Mission onusienne au nom de certains arguments avancés. Dr Tounkara pense d’ailleurs que les arguments avancés par la Mission pour justifier ces retraits précipités souffrent d’objectivité, d’équidistance, de volonté d’aider l’Etat du Mali à recouvrer l’intégrité du territoire national et d’asseoir une paix durable dans ces localités.
F. Sissoko