Le 22 mai 2007, mon Bureau a ouvert une enquête dans la situation en République centrafricaine (RCA) à propos des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) qui auraient été commis dans le contexte d’un conflit armé entre le 1er juillet 2002 et 2003. À la suite d’un renvoi adressé le 30 mai 2014 par le Gouvernement centrafricain, mon Bureau a ouvert une deuxième enquête dans la situation en RCA le 24 septembre 2014. Celle-ci se rapportait aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis depuis le 1er août 2012 par des groupes armés plus connus sous le nom des « Séléka » et des « Anti-balaka ».
Depuis l’ouverture de cette enquête, mon Bureau a examiné les éléments de preuve se rapportant aux crimes qui auraient été perpétrés par l’ensemble des parties au conflit armé. Il s’est acquitté de cette tâche en toute indépendance, impartialité et objectivité, en collaborant avec les survivants, la société civile et les autorités nationales compétentes.
Nous avons accompli des progrès considérables dans le cadre des activités que nous avons menées en faveur de la justice. Les affaires portées contre MM. Alfred Yekatom, Patrice-Edouard Ngaïssona et Mahamat Saïd Abdel Kani en sont actuellement au stade du procès. MM. Yekatom et Ngaïssona sont respectivement inculpés de 21 et 31 chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dont les suivants : attaques intentionnelles contre la population civile et des bâtiments consacrés à la religion, meurtre, viol, déplacement de civils, transfert forcé, privation grave de liberté physique, torture, traitements cruels, mutilation, persécution et recrutement d’enfants soldats. M. SAÏD est inculpé de sept chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre (entre autres, torture, emprisonnement et persécution) pour des crimes qui auraient été commis à Bangui entre le mois d’avril 2013 et la fin du mois d’août 2013.
Dans le cadre d’une autre affaire ayant découlé de cette enquête, la procédure de confirmation des charges contre M. Maxime Mokom, transféré à la Cour en mars 2022 doit se tenir prochainement. Le mandat d’arrêt délivré le 7 janvier 2019 par la Chambre préliminaire II à l’encontre de M. Nouradine Adam Mahamat (dont les scellés ont été levés le 28 juillet 2022) est toujours en attente d’exécution.
Aujourd’hui, je vous informe qu’en dehors des affaires pendantes devant la CPI, mon Bureau ne suivra pas d’autres pistes d’enquête quant à l’éventuelle responsabilité pénale d’autres personnes ou à l’égard d’autres comportements survenus dans le cadre de la situation en République centrafricaine. Par conséquent, à moins d’un changement radical de circonstances, la phase d’enquête dans la situation en RCA est close. J’ai informé les autorités centrafricaines de cette décision.
Aujourd’hui, vingt ans après la création de la CPI, pour la première fois, mon Bureau prend la décision de clore la phase d’enquête dans une situation dont la Cour est saisie. La prise de telles décisions fait partie intégrante de la conception et de l’application d’une stratégie efficace en matière de poursuites.
Compte tenu de la diversité des crimes relevant de la compétence de la CPI, pour m’acquitter efficacement de mon mandat de Procureur, il est primordial que j’exerce le pouvoir discrétionnaire dont je suis investi en vertu des dispositions du Statut de Rome. Depuis ma prise de fonctions en juin 2021, je suis toujours resté clair à ce sujet : je ne souhaite pas continuer à faire des promesses intenables aux survivants et aux familles des victimes. Pour obtenir de véritables résultats, il nous incombe de dresser un diagnostic sans complaisance de l’utilisation de nos ressources et d’optimiser ces dernières afin de changer concrètement le cours des choses pour les personnes touchées par des crimes relevant de notre compétence à travers le monde.
La nécessité de planifier les activités relatives aux différentes situations et d’adopter des stratégies de clôture rend également compte des attentes légitimes, de plus en plus nombreuses, au vu desquelles la Cour doit trouver les moyens et les solutions qui lui permettront de poursuivre simultanément ses activités dans plusieurs situations malgré des ressources limitées. Cette nécessité avait déjà été soulignée dans le Rapport portant sur l’Examen de la Cour établi par les experts indépendants à la demande de l’Assemblée des États parties.
La décision que j’ai prise en ce qui concerne la clôture de la situation en République centrafricaine n’est pas non plus unique en son genre et sera accompagnée d’autres décisions qui concerneront différentes situations pour lesquelles une enquête est en cours, par exemple la situation en Géorgiedans laquelle, comme je l’annonce aujourd’hui, la phase d’enquête est également arrivée à son terme.
Cela étant, notre travail à l’égard de la situation en République centrafricaine est loin d’être fini. Mon Bureau concentrera ses efforts sur les poursuites engagées contre les individus visés par des mandats d’arrêt et sur la consolidation de la coopération avec la Cour pénale spéciale de la République centrafricaine.
Mon Bureau continuera de collaborer avec ses partenaires pour localiser et arrêter les suspects qui sont toujours en fuite et engager des poursuites dans les affaires en cours, en amont du procès, au cours du procès puis lors de la procédure en appel, et, dans l’éventualité d’une condamnation, lors des les procédures relatives aux demandes en réparation. Les Chambres de la Cour resteront saisies de ces affaires et le Greffe continuera d’exercer son mandat pluridisciplinaire.
Avant toute chose, je suis convaincu que le nouveau volet de la coopération entre mon Bureau et la République centrafricaine dans le cadre de la situation en cause illustrera les effets positifs de la mise en pratique du principe de complémentarité. Au cours de ces derniers mois, mon Bureau n’a pas ménagé ses efforts pour isoler des informations susceptibles de présenter un intérêt dans le cadre de procédures portées devant la Cour pénale spéciale afin de transmettre ces éléments de preuve à celle-ci dans les plus brefs délais. Il a entamé le processus de transmission des pièces et des informations en vue d’étayer les affaires et les procédures engagées devant la Cour pénale spéciale. Il s’engage à contribuer au renforcement des capacités au travers des échanges de compétences et de bonnes pratiques, y compris en ce qui concerne la protection des témoins.
Les activités menées par la Cour pénale spéciale ont mis en relief les avancées de la justice pénale internationale au cours de l’année qui s’est écoulée. Je me suis réjoui qu’en mai dernier, le Procureur adjoint de la CPI, Mame Mandiaye Niang, ait pu assister à la cérémonie d’ouverture du tout premier procès devant la Cour pénale spéciale, témoignant de la volonté de mon Bureau de soutenir activement les travaux de la Cour spéciale.
Je me félicite de la coopération dynamique que nous entretenons avec la Cour pénale spéciale et du premier verdict qu’elle a rendu le 31 octobre 2022 contre trois individus accusés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. La mise en œuvre effective du principe de complémentarité en République centrafricaine, tel qu’il a été envisagé dans le Statut de Rome, s’offre aux yeux du monde entier. La Cour pénale internationale et la Cour pénale spéciale mènent toutes deux, en parallèle, des procédures se rapportant aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité qui ont été commis en RCA, contribuant ainsi à faire reculer l’impunité. Cette coopération témoigne des synergies qui peuvent être obtenues grâce aux actions de ces deux institutions qui partagent un objectif commun : rendre justice aux victimes des crimes abominables qui ont été commis en République centrafricaine.
Lors de discussions entre mon Bureau et les autorités centrafricaines, nous avons évoqué notre vision commune consistant à passer le relais aux juridictions nationales pour que les auteurs des crimes en cause rendent des comptes. Mon Bureau continuera de leur apporter un appui solide.
Nous resterons en contact avec la société civile en République centrafricaine. Pour ce faire, mon Bureau se mettra également en relation avec des organisations de la société civile et d’autres intervenants afin d’expliquer plus précisément les implications de la décision de mettre un terme à la phase d’enquête dans cette situation, les activités que nous continuerons de mener et notre volonté d’amener les affaires pendantes au procès. À ce titre, nous avons déjà tenu une réunion avec des acteurs civils pour engager le dialogue.
Ce n’est qu’en agissant ensemble, en s’acquittant des responsabilités qui leur incombent au regard du Statut de Rome et des attentes des victimes, que la CPI et les États parties pourront appliquer le principe de complémentarité et coopérer de manière efficace. Mon Bureau se tient prêt à poursuivre la collaboration avec les autorités centrafricaines, les survivants, les familles des victimes et la société civile et à travailler à leurs côtés pour accomplir les tâches qui l’attendent.
Bureau du Procureur de la CPI