Le vendredi 21 juin, la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) a, à la demande du Procureur, rendu public le mandat d’arrêt à l’encontre d’Iyad Ag Ghaly pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Nord du Mali entre janvier 2012 et janvier 2013. L’information a été rendue publique par la Cour via un communiqué. Dr Aly Tounkara, expert sur les questions de défense, de sécurité et de paix au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) se prononce sur cette procédure de la CPI, les enjeux et les implications d’une telle décision et les conditions d’une bonne exécution de ce mandat d’arrêt.
D’entrée de jeu, Dr Aly Tounkara a expliqué qu’en général, les levées de scellés interviennent dans le cadre de dossiers étiquetés par les juges comme sensibles. Selon lui, ces dossiers en question ne sont pas forcément portés à la connaissance du public jusqu’à un délai. Et une fois ce délai dépassé, les jugés ont l’obligation de porter à la connaissance du public le dossier en question. D’après le spécialiste, c’est le cas d’Iyad Ag Ghaly. Il soutient que selon les dires de la Cour pénale internationale, il s’agirait de crimes commis par ce dernier et ses hommes entre 2012 et 2013, donc au début de la crise qui secoue le Mali depuis 2012.
Aly Tounkara pense que cet acte va d’abord amener les Etats soupçonnés d’abriter Iyad Ag Ghali à le mettre à la disposition de la justice si cela venait à être confirmé. Sans laquelle mise à disposition, dit-il, ces Etats pourraient avoir des ennuis de la part de la communauté internationale notamment la suspension des aides s’ils en bénéficient et aussi d’un certain nombre de coopérations avec les Etats membres de la CPI. De même, l’Etat en question va être étiqueté comme apportant son soutien au terrorisme et par ricochet, être qualifié d’Etat terroriste. D’autres implications que le chercheur évoque sont que si on regarde la temporalité de cette levée de scellés, certains experts diront qu’au bout de deux ans, la Cour avait l’obligation de rendre cela public. Mais dans le même temps, quand on se réfère aux assises tenues par le Mali notamment le Dialogue direct inter-Maliens, parmi les recommandations formulées par les participants, il est question à nouveau de déclencher un dialogue avec les terroristes de nationalité malienne. Donc pour Aly Tounkara, Iyad Ag Ghali, Amadoun Kouffa et d’autres terroristes sont à ce stade considérés par les Maliens qui ont pris part au dialogue comme des acteurs potentiels sujets à des possibles pourparlers et négociations dans les mois voire années à venir. L’expert du CE3S estime qu’une telle implication de la CPI pourrait rendre ce dialogue avec ces terroristes maliens très difficiles. Mais dans le même temps, il se demande si le Mali venait à lever le mandat qu’il a lancé contre ces acteurs, quelle serait l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis du Mali. « Donc, objectivement au-delà du respect des principes et des conventions de Rome ou de Genève, la CPI rendrait ainsi très compliquée l’offre de dialogue qui viendrait du Mali vis-à-vis d’Iyad Ag Ghali et d’Amadoun Kouffa », analyse Dr Tounkara. Il dira qu’au-delà de la simple levée de scellés, cet acte à des implications géopolitiques qui pourraient même conduire l’Etat du Mali dans de nouvelles tensions internationales avec les Etats outre que sahéliens qui détiendraient une certaine force ou un certain pouvoir au sein de la CPI.
Au regard de cette situation, Aly Tounkara pense qu’il serait difficile de s’attendre à une exécution effective et réelle de ce mandat pour des raisons très simples qu’il avance. Selon lui, les pays qui abritent les terroristes ont toujours été dans le déni et ont toujours rejeté en bloc cette possibilité d’abriter des terroristes. Il soutient que la première difficulté à laquelle pourrait se heurter cette décision est d’abord l’acceptation des Etats de reconnaitre qu’ils sont le foyer ou qu’ils constitueraient les quartiers généraux de ces terroristes. « Un Etat qui accepterait de reconnaitre la présence d’un terroriste d’une telle trame sur son territoire va être dorénavant considéré comme un Etat à très haut risque, qui ne serait pas en phase avec les conventions internationales, le droit international humanitaire, les droits humains de façon générale », a souligné Dr Aly Tounkara. Ne serait-ce que cette peur d’être étiqueté comme un Etat voyou ou terroriste, l’expert du CE3S dira qu’il va être difficile pour les Etats concernés de se manifester en faveur de la mise à disposition d’Iyad Ag Ghaly si ce dernier se trouve sur leurs territoires.
F. Sissoko