Abdoulaye Diop au forum Crans Montana à Bruxelles : « Avec l’AES, il y a une nouvelle donne géopolitique… »

A l’invitation de l’ambassadeur Jean Paul Carteron, président-fondateur du Forum Crans Montana, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale Abdoulaye participe à la 36ème édition de ce forum à Bruxelles du 26 au 29 juin.

Dans le cadre de ce forum, le ministre Diop a co-animé hier jeudi, un panel sur l’Alliance des États du Sahel (AES), une nouvelle dynamique géopolitique dans la configuration sous régionale en Afrique de l’Ouest.

Abdoulaye Diop a d’abord expliqué que le Sahel n’est pas seulement les trois Etat et même ceux qui étaient appelés avant le G5 Sahel. Mais que le Sahel part du Sénégal jusqu’à la Somalie, le Maroc, la Lybie. Selon lui, d’autres pays font partie de ce Sahel où il y a un continuum humain, géographique et géopolitique.

Pour l’Alliance des Etats du Sahel, il a fait comprendre le contexte de sa création. Selon le chef de la diplomatie malienne, le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont tous des pays en transition. Ce sont des pays qui ont aussi eu un différend très profond avec le reste des pays de la Cedeao. Pour lui, ce qui s’est passé dans ces trois Etats est une crise très profonde qui dépasse le label de coup d’Etat. « Si on prend le Mali et le Burkina, ce sont des pays qui avaient perdu entre 40 et 60% de leurs territoires à cause de l’insécurité et du terrorisme, après l’intervention de l’Otan en Lybie qui a déstabilisé et déstructuré la région », a déploré Abdoulaye Diop. Il a indiqué que la démocratie ne peut exister que dans un Etat. Et il n’y avait plus d’Etat en ce qui concerne ces pays. « On est en train de construire des Etats et nos interlocuteurs sont en train de préparer des élections. Donc, on ne peut pas se comprendre. Cela nous a amené dans un différend extrêmement profond avec la région et des sanctions ont été imposées à nos pays », a souligné Abdoulaye Diop.  Il reconnait que la Cedeao a ses règles et en tant que membres, ils ont accepté ces règles. Toutefois, il dira qu’il y a eu des sanctions économiques et financières qui ont été imposées à ces pays sans aucune base légale. Le chef de la diplomatie malienne a précisé qu’il n’y a aucun texte ou traité de la Cedeao qui a prévu qu’on puisse fermer les frontières. « On a utilisé l’union économique pour fermer nos banques centrales, pour fermer les comptes bancaires des Etats, pour affamer les populations », a-t-il dénoncé. Dans le cas du Niger, Abdoulaye Diop dira que même les médicaments n’étaient pas autorisés alors que le statut de la banque centrale précise qu’elle ne peut recevoir d’injonction d’aucun autre organe fut-il celui des chefs d’Etat, mais cela a été fait. « Ce sont des erreurs qui ont touché à l’ADN même de l’organisation. Une organisation qui est faite pour intégrer, si elle commence à désintégrer, elle attaque son ADN », a ajouté le ministre Diop qui soutient que cela a créé un fossé entre ces Etats et les autres pays de la Cedeao.

Alliance militaire défensive

« Nous avons expliqué à nos amis de la Cedeao que la suspension ne veut pas dire ostracisme et exclusion. Même si on est suspendu, il y a un minimum d’engagement et cet engagement doit rester sur trois questions. On leur a dit que si on discute des questions qui touchent nos Etats, de nous appeler et nous écouter, s’ils discutent des questions sécuritaires, cela ne peut pas se faire sans les pays concernés. Et le troisième élément concerne les questions humanitaires qui ne peuvent se discuter également sans les pas concernés », a expliqué le chef de la diplomatie malienne. Il déplore qu’ensuite, ils ont ajouté les ministres des Affaires étrangères et les chefs d’Etat aux sanctions et c’est ce qui a amené la cassure. Et partir de ce moment, « nous avons dit, puisque les chefs d’Etat et les ministres des Affaires étrangères sont sanctionnés, la Cedeao a fermé la porte du dialogue ».

Abdoulaye Diop se rappelle que lorsqu’il y a le coup d’Etat au Niger, la Cedeao a décidé de faire une intervention militaire. Alors que selon lui, quand on est dans une union, cela veut dire qu’il y a un pacte de non-agression. Il dira que même si un chef d’Etat est renversé, on ne peut pas se lever pour dire qu’on va attaquer un pays membre. « Depuis 20 ans, la Cedeao a une force en attente qui est toujours en attente. Cela veut dire que ce sont des acteurs extérieurs à la région qui dictent leur volonté à la Cedeao. Même l’Union européenne a soutenu cette décision d’attaquer un pays souverain qui lutte depuis 10 ans contre les terroristes », a déploré Abdoulaye Diop. « A partir de ce moment, nous avons dit que cette organisation commence à être dangereuse pour nous. Non seulement, on punit nos populations mais le fait d’être membre peut même amener à ce qu’on attaque le pays. C’est là que le Mali et le Burkina ont décidé que si la Cedeao attaque le Niger, qu’elle considère qu’on est entré en guerre contre l’organisation », a rappelé le ministre Diop. A partir de là, dit-il, une alliance militaire défensive a été mise en place pour faire face à la menace existentielle et en mettant en place, une approche géopolitique de la question. « Nous nous réunissions pour nous défendre d’abord. C’est d’ailleurs notre réponse qui a dissuadé en définitive car les gens ont compris que Niamey ne sera pas une promenade de santé car ils vont faire face à trois armées qui sont en guerre depuis 10 ans », a indiqué Abdoulaye Diop. Selon lui, les trois pays ont décidé qu’il faut aller au-delà de l’alliance militaire. Il a fait savoir que la région appelée Liptako Gourma qui réunit les trois Etats est une zone géographique et culturelle qui existait depuis des décennies. Selon lui, il y a d’ailleurs une organisation qui s’appelle l’Autorité du Liptako Gourma car ces trois pays partagent les mêmes réalités climatiques, géographiques, culturelles et même sécuritaires. « On a décidé de mettre en place une communauté qui puisse nous aider à assurer la sécurité et à lutter contre le terrorisme ensemble », a-t-il indiqué. Pour Abdoulaye Diop, le deuxième pilier est de travailler à mettre en place une intégration économique poussée parce qu’il existe déjà un espace économique et géoculturelle pour renforcer la libre circulation dans les trois pays, pour mettre en œuvre des projets intégrateurs dans le domaine de l’énergie, des transports, des infrastructures. Mieux, le chef de la diplomatie malienne dira que ces pays regorgent aussi des ressources minières de toutes sortes. Et le troisième pilier est de travailler pour que les trois pays parlent d’une même voix et aient une action diplomatique coordonnée. D’après Abdoulaye Diop, les ministres des Affaires étrangères ont même recommandé aux chefs d’Etat d’aller vers une confédération en prélude à une fédération des trois Etats qui se fera par étape.

Il a précisé que leur engagement pour l’intégration africaine et l’idéal panafricain reste intact mais il trouve que certaines organisations n’incarnent plus cet idéal. Ainsi, il leur faut à travers l’Alliance des Etats du Sahel, proposer une alternative, avoir une organisation qui ne soit pas pilotée par l’extérieur, qui ne devienne pas un danger pour ses membres et ses populations. « Avec l’AES, il y a une nouvelle donne géopolitique qui est là. », a insisté le ministre Diop, qui dira que le sort de nos pays ne va plus se décider à Paris, à Bruxelles, à Washington ou à Londres. « Ça se décidera à Ouagadougou, à Bamako ou à Niamey », a-t-il précisé tout en soulignant que tous les problèmes qu’il y a dans la région, c’est entre les dirigeants et non entre les populations.

F. Sissoko