Après l’attaque terroriste qui a visé l’école de gendarmerie de Faladiè le 17 septembre dernier, les autorités de la Transition, à travers le gouverneur du District de Bamako, ont décidé de la fermeture des principaux marchés à bétail de la capitale pour raison d’ordre public à partir du 19 septembre. Des sites ont ensuite été identifiés pour les délocaliser en dehors de Bamako. Dans les lignes qui suivent, Dr Aly Tounkara, sociologue et expert sur les questions de défense et de sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) livre son analyse sur cette décision qui a entraîné une grève chez les vendeurs de bétail, perturbant ainsi la disponibilité de la viande dans la capitale pendant plusieurs jours.
D’entrée de jeu, le chercheur explique que les parcs à bétail étaient devenus un lieu de refuge pour les groupes radicaux violents et même une sorte de cache d’armes pour ceux-ci. Dr Aly Tounkara a indiqué qu’à la suite des attaques terroristes dirigées contre l’école de gendarmerie de Faladiè, des fouilles ont permis de saisir des armes de guerre. Mais aussi de découvrir une certaine complicité établie entre certains acteurs fréquentant ces parcs à bétail et les entrepreneurs de la violente. « Leur fermeture pourrait paraitre aux yeux des citoyens ordinaires comme peu opportune. Mais lorsqu’on est proche des enquêtes et qu’on connait les possibles implications de ces parcs à bétail dans la commission d’un certain nombre de crimes perpétrés par les groupes radicaux violents, la fermeture n’a rien d’étonnant », analyse Dr Tounkara.
La question qu’il se pose est de savoir si la délocalisation va apporter la sécurité sur ces parcs à bétail. Aly Tounkara estime que vouloir subordonner de facto la délocalisation à la sécurisation des parcs à bétail est trop simpliste. Il a rappelé que le Mali a opté pour la décentralisation. Et de ce fait, il est de la responsabilité des collectivités territoriales de finir de préparer les sites qui doivent abriter ces parcs. Mais également de réunir toutes les commodités qui vont avec l’activité pastorale. D’après le chercheur, les collectivités peuvent se faire des recettes extrêmement importantes à partir de ces pacs à bétail. Elles peuvent permettent aussi de formaliser leur accès et leur gestion. Laquelle formalisation pourrait contribuer à réduire de manière significative la propension à l’insécurité. Il prévient que lorsque des parcs sont déplacés sans que ces conditions idoines soient réunies de la part des collectivités territoriales, « nous allons juste assister à un changement de centre de gravité du lien insécurité-parcs à bétail ». L’expert du CE3S reconnait que la délocalisation était nécessaire mais quand au lien factuel entre cette délocalisation et la sécurité de ces parcs, il pense qu’il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte dans l’analyse notamment le rôle que doivent jouer les municipalités en termes d’installation et de gestion de ces sites ainsi que la formalisation de ces activités pastorales. Le chercheur pointe du doigt des manquements qu’il faut corriger pour permettre à l’Etat du Mali d’avoir des parcs à bétail assainis ou formalisés. Pour ce faire, il soutient que les mesures qui vont être proposées doivent être séquencées.
Rôle primordial des collectivités
De prime abord, il précise que ces parcs à bétail doivent revenir de facto aux collectivités. Car ils sont installés dans des communes qui appartiennent à des collectivités. Et de ce fait, l’Etat va plutôt y assurer un rôle de délivrance du service de sécurité. En ce qui concerne les autres aspects liés à l’accessibilité, au choix et à la nature des infrastructures ou même l’architecture des parcs, ce sont des prérogatives des collectivités territoriales. Sans cette clarification des rôles, Aly Tounkara pense qu’il y aura une sorte d’embouteillage entre l’Etat, les collectivités et les éleveurs. « Cette clarification est primordiale avant de procéder à des quelconques réponses d’ordre sécuritaire. Une fois que cela est amorcé, il est urgent que l’Etat, au regard de l’urgence sécuritaire, pense à des formules mieux adaptées en termes de collecte et de fourniture de renseignements », analyse le spécialiste. A la question de savoir s’il n’était pas plus pertinent d’installer des postes mixtes de sécurité, Dr Tounkara dira que mettre en place une unité de police ou de gendarmerie à proximité de ces parcs pourrait ne pas forcement atteindre les objectifs fixés. Selon lui, obtenir des renseignements dans ce genre de zones ou sites nécessite beaucoup de tact, d’effacement et de stratégies. Et si ces stratégies sont rendues visibles, elles vont être davantage dissuasives mais peu pertinentes. « Les mesures du point de vue sécuritaire qui vont être engagées doivent tenir compte des spécificités qui sont propres à la nature même de l’activité d’élevage et à la sociologie des acteurs qui fréquentent ces différents endroits », conseille l’expert du CE3S. Il pense que cela ne doit pas constituer une sorte de gêne pour les populations hôtes et environnantes de ces parcs. D’après lui, lorsqu’on succombe à l’escalade émotionnelle dans le cadre de la création des postes de sécurité, qu’ils soient mixtes ou pas, en général les résultats escomptés sont difficilement obtenus. Car ce sont des postes qui sont créés dans des circonstances où le sentimental a très souvent eu raison sur le réflexif. Pour Dr Tounkara, ce qu’il faut faire, c’est d’étudier le nouvel environnement des parcs et proposer des mesures qui ne sont pas circonstancielles ou éphémères mais dans la durée.
Il précise que ces parcs, dans d’autres pays bien organisés, ont toujours été des endroits relativement éloignés des populations. Pour qui connait l’élevage, il dira qu’il n’y a rien de gênant que ces parcs soient distants des lieux d’habitation.
« C’est d’ailleurs un idéal type vers lequel tout Etat doit tendre », a-t-il ajouté. Parlant des conséquences d’une telle délocalisation sur le coût du bétail et de la viande, l’expert du CE3S estime que si toute la chaine logistique, d’accès et de gestion de ces parcs est bien réfléchie et partagée entre les acteurs, les hausses de prix seraient marginales. Toutefois, il prévient que tout dépendra de l’ingéniosité des collectivités concernées et le niveau de coopération entre les différents acteurs.
F. Sissoko