Contribution sur la Minusma: De la mission de stabilisation à l’épineuse question de son efficacité et pertinence au Mali

Le vendredi 16 juin de 2023, dans un communiqué rendu public, les autorités maliennes rendu public leur décision de mettre un terme à dix (10) ans de présence de la Mission Multidimensionnelle Ingérée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (Minusma), créée par la résolution 2100 du Conseil de Sécurité du 25 avril 2013 pour appuyer le processus politique au Mali et effectuer un certain nombre de tâches en lien avec la protection des civils et le retour de l’administration, une mission diversement appréciée par les Maliens.

Petites réminiscences en lien avec le droit des opérations de maintien de la paix

Selon le droit international, notamment dans la doctrine des opérations de maintien de la paix, caractéristique principale des opérations de maintien de la paix est qu’elles s’inscrivent dans une dynamique non coercitive. A la différence du système de sécurité collective, elles ne sont pas dirigées contre un État qui constituerait une menace pour la paix. Incidemment, l’opération de maintien de la paix ne constitue pas un procédé autoritaire et ne tendrait qu’à assurer la présence physique des Nations Unies dans les lieux troublés par des combats (cf. M Virally, l’organisation mondiale, 1974).

Son action s’inscrit dans les principes de consentement de l’Etat hôte, d’impartialité et de non-usage d’armes sauf en cas de légitime défense (lire utilement Le manuel des Nations Unies sur les opérations de maintien de la paix).

Dans le cas du Mali, par la résolution 2640 (2022), au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de Sécurité a prolongé le Mandat de la Minusma jusqu’au 30 juin 2023, en maintenant ses 13 289 soldats et 1 920 policiers. Ainsi, l’une des missions confiées à la Minusma est l’appui à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali- APR, tout comme l’accompagnement de la Transition politique. Le Communiqué du Gouvernement qui intervient suite à la présentation du Rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation au Mali qui ouvre, par ricochet les discussions autour du renouvellement du mandat de la Minusma. Au cours de cette séance le ministre des Affaires étrangères, Aboulaye Diop, avait déjà le ton par devant les membres du Conseil de sécurité. Au regard de ces missions confiées entre autres, la dénonciation de la Minusma et la demande de son retrait du Mali posent alors des questions de droit, relativement au bienfondé de la demande du gouvernement du Mali. Si tant est que la demande du Mali serait fondée, comment un tel retrait pourrait-il intervenir ? A défaut de délivrer un oracle, la réponse à la première question est affirmative, le Mali remettant en cause son consentement du pays à recevoir la mission. Pour la seconde question, les réponses viendront après la décision que prendra le Conseil de Sécurité sur l’avenir de la mission en fin juin. Mais une donne juridique demeure, celle de la possibilité pour le Conseil de sécurité de changer le type de la mission, en ce sens qu’il a la latitude de s’obliger à rester pour s’assurer du respect et de l’application satisfaisante de l’APR, sur la simple présomption d’une éventuelle recrudescence de la violence entre l’Etat malien et les groupes armés signataires de l’APR qui pourraient voir, dans le retrait de la mission, une suppression de la garantie qu’ils avaient. Ce faisant, le droit international ne s’oppose pas au retrait de la Minusma sur la demande du Mali, mais reste très flexible et dépendant de la volonté du Conseil de Sécurité.

Quelques reproches faits à tort ou à raison à la Minusma

Il est reproché à la mission de ne pas suffisamment appuyé les autorités maliennes dans leurs efforts de retour à une paix durable à travers l’occupation effective et réelle des zones récupérées du joug des terroristes par les forces armées maliennes dans les régions dites ‘’Centre et Nord’’ du pays. Subséquemment, les rapports périodiques produits par la mission sur le Mali seraient perçus par l’élite militaire au pouvoir comme des productions l’influence de la France, qui se trouve d’ailleurs en brouille diplomatique avec le Mali, depuis un certain temps. « Les accusations » de violations des droits de l’homme, la perpétration de des crimes de guerre, d’épuration ethnique, du non-respect des principes basiques du Droit International Humanitaire-DIH attribués aux forces de sécurité et de défense du Mali, sont entre autres des aspects qui sous-tendraient la teneur de cette décision. Faut-il le rappeler, le torchon n’en finit pas de brûler entre le Mali et la France, de l’expulsion des représentants diplomatiques en passant par la convocation de l’ancien ministre Jean-Yves le Drian par la justice malienne pour atteinte aux biens publics, sans occulter les déclarations incendiaires de part et d’autre par médias interposés. En somme, les rapports ne sont plus au beau fixe entre Bamako et Paris. Ainsi, des missions d’évaluation mandatées par les Nations Unies pour réfléchir à la suite à donner à la Minusma sont couronnées par des propositions de scénarii sans réelle implication du pays hôte. D’ailleurs, faut-il le préciser, ces scénarii sont portés à la connaissance des autorités maliennes à travers les médias. Cette attitude offusquerait Bamako, d’autant plus que la mission en cours est avant tout une mission du soutien à la paix et non une mission d’imposition de la paix. La récente déclaration du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, sur les hypothèses d’un possible redimensionnement de la MINUSMA est vécue par l’élite militaire au pouvoir comme un affront, car les différents amendements en lien avec l’adaptation de la mission au contexte de la guerre asymétrique que connait le Mali depuis 2012 proposés par le pouvoir malien ne seraient pas pris en compte par l’organisation.

Par ailleurs, il faut noter que les mouvements récurrents de contestation menés par certains soutiens des militaires et même des populations ordinaires contre la présence de la mission ne seraient pas sans conséquence sur une telle décision.

Retrait de la Minusma : quelques scénarii possibles à envisager

A la suite de la décision du gouvernement malien, les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, lors des prochaines sessions sur le Mali, pourraient décider de revenir sur les amendements formulés par le Mali, en termes d’amélioration de la mission et lui demander en retour de revoir certaines mesures de restriction imposées à la mission, qui sont vues par certaines chancelleries occidentales comme insupportables, voire contreproductives. Cette hypothèse reste sur la table même si son effectivité est marginale au regard des enjeux et des compétions qu’occasionne la Minusma entre les puissances économiques et militaires. Ce faisant, lors de l’éventuel renouvellement du mandat de la Mission, la Russie et la Chine pourraient s’abstenir, si le mandat venait à être renouvelé avec un chapitre renforcé sur la protection de la mission. Dans ce cas de figure, les casques bleus passeraient le plus clair de leur temps à se protéger contre des populations civiles hostiles à leur présence et à redoubler la vigilance. Au regard des risques que pourrait engendrer un tel scénario, beaucoup de pays contributeurs de troupes pourraient rappeler leurs hommes, réduisant ainsi la mission à un effectif à minima. Subséquemment, le Conseil de sécurité pourrait décider de renouveler le mandat au nom de la protection des civils et l’application de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, en dépit de l’opposition du pays hôte. Dans ce cas précis, la Russie opposerait son véto et la Chine s’abstiendrait. Alors, la mission pourrait assister à ses funérailles, rien qu’avec le seul véto russe. Des négociations pourraient être envisagées avec l’État du Mali sur la temporalité et les modalités du retrait de la mission. Le Conseil de sécurité déciderait alors, de guerre lasse, à l’unanimité, de respecter la volonté des autorités maliennes de mettre un terme à la mission et proposerait ainsi de commun accord avec l’élite militaire au pouvoir, un calendrier de retrait des contingents.

Ce scenario pourrait être le plus plausible lorsque l’on scripte de façon approfondie le contexte et les circonstances dans lesquels l’annonce du départ de la Minusma est intervenue. Somme toute, la déclaration des Etats-Unis d’Amérique déplorant la décision, tout en demandant un retrait « ordonné et responsable » aux autorités du Mali, et le bilan peu flatteur de la mission établi par l’Union Africaine (Moussa Faki Mahamat lors d’un point de presse) pourraient laisser entendre que les jours de la mission sont comptés au Mali. En toute évidence, la nature de la mission ne rimerait pas avec les attentes d’un nombre important de maliens en termes d’offre et de demande de sécurité. In fine, dans le cas d’un retrait acté par l’ONU, en ce qui concerne les actions de développement et le nombre d’emplois créé par la mission, les autorités maliennes ont du pain sur la planche.

Dr Aly Tounkara, Directeur exécutif du Centre des Études Sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S)