Pourquoi ce bras de fer entre Paris et Niamey autour de l’ambassadeur de France ? La France qui qualifiait les nouvelles autorités nigériennes d’illégitimes négocie aujourd’hui le départ d’une partie de ses militaires après les manifestations populaires à cet effet. Pourquoi ce changement d’attitude vis-à-vis de la junte nigérienne ? Quel avenir pour la présence militaire française au Niger et au Sahel en général ? Ce sont autant de questions sur lesquelles, Dr Aly Tounkara, expert défense et securité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) livre son analyse dans les lignes qui suivent.
Pour l’universitaire, seuls les intérêts français au Niger pourraient aider à comprendre l’agir de la France de cette sorte. Selon Aly Tounkara, le prétexte du coup d’Etat et cette envie tant brandie de l’attachement aux valeurs de la démocratie par la France sont des éléments qui résisteraient très peu à l’analyse pour comprendre cette ingérence de la France dans le domaine qualifié d’interne d’un Etat. Pour le chercheur, tous les Etats sans exception défendent leurs intérêts. Cependant, la défense des intérêts doit se faire dans une certaine orthodoxie en termes de diplomatie et d’effacement de soi. Or, cette diplomatie de douceur, cet effacement de soi sont des qualités qui ne rimeraient pas avec cette présence militaire française au Niger et au Sahel de façon générale, explique Dr Tounkara. Il donne des éléments qui aident à comprendre pourquoi, la position du président français Emmanuel Macron tend aujourd’hui vers des concessions quant au départ de la Force française du Niger. Selon lui, si on écoute avec une attention particulière toutes ces voix des politiques, d’acteurs de la société civile et même d’universitaires, de citoyens ordinaires, ce sont des voix qui aujourd’hui mettraient à mal la position du président Macron qui consisterait à maintenir à tout bout de champ, les militaires français sur le sol nigérien. Pour le chercheur, beaucoup de voix dénoncent déjà un tel forcing de la part du président français. Ces éléments réunis expliqueraient pourquoi, Emmanuel Macron a même peur que l’Assemblée nationale ou le Senat se saisissent de ce dossier et demandent les semaines voire mois qui suivent, un retrait définitif des troupes françaises au Niger. Ce retrait, s’il venait par être acté par une des chambres serait une défaite pour le président Macron, analyse Dr Tounkara, qui soutient que ces raisons expliqueraient pourquoi, un dialogue pour un retrait progressif serait ouvert.
Présence hypothéquée
Le directeur du CE3S prévient que quel que soit le scenario qui serait adopté ou envisagé, la présence française au Niger et au Sahel de façon générale connaitrait à coup sûr une issue incertaine. « Seule une présence effacée pourrait permettre à la France non seulement de se maintenir symboliquement sur le plan militaire au Niger mais dans le même temps, de se faire accepter dans la durée par toutes ces voix aujourd’hui qui contestent sa présence », a indiqué Aly Tounkara. A ce niveau également, il pense que deux éléments sont importants à mettre à l’évidence pour comprendre pourquoi aujourd’hui cette présence militaire serait hypothéquée. De prime abord, Dr Tounkara dira que la ruée d’une frange importante de l’élite politique ou militaire au pouvoir dans le Sahel vers les besoins d’élargissement des partenariats sur le plan sécuritaire et de la défense à d’autres pays ainsi que la volonté d’asseoir leur souveraineté en tant qu’Etats sont des éléments qui laissent entendre que le format actuel de la présence militaire française dans le Sahel est très hypothéqué. Le second élément que le chercheur avance est le profil des acteurs de la société civile, toute cette jeunesse de plus en plus informée, engagée qui exige le départ des forces françaises. Laquelle jeunesse exige aussi de l’élite politique au pouvoir de mettre un terme aux différents accords militaires qui lieraient leurs pays respectifs à la France. Pour Aly Tounkara, cela prouve que dans la durée, qu’on soit un président issu des urnes, venu par les moyens des armes, tout chef d’Etat qui accepterait de s’inféoder à une politique extérieure quelconque et en l’occurrence française risquerait d’avoir toute la rue et cette jeunesse informée et engagée sur son dos. Pour l’expert défense et securité du CE3S, ces deux éléments réunis laissent croire que l’issue de la présence militaire française dans le format actuel serait incertaine. D’où toute la nécessité pour la France d’accepter l’effacement et l’autocritique et d’avoir une position équidistante comme l’ont les Etats-Unis, l’Angleterre et d’autres puissances occidentales sur le plan militaire dans le Sahel. Aly Tounkara prévient que c’est le seul gage pour la présence militaire de la France dans le Sahel et au Niger en particulier.
F. Sissoko