En temps de crise tout comme en temps de paix, le traitement de l’information requiert du professionnalisme de la part des journalistes. Cela se passe par le respect strict des règles déontologiques qui sont l’ensemble des normes auxquelles, les journalistes doivent s’astreindre. Le Vice-doyen de la Faculté des sciences administratives et politiques (FSAP) de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), le professeur Abdoul Sogodogo non moins analyste politique, livre ici son analyse sur le traitement de l’information en temps de crise.
Pour le chercheur, en temps de crise, le journaliste et les médias sont plus interpelés sur leur responsabilité. « C’est en ce sens qu’une certaine école pense qu’une situation de crise doit amener les médias et les journalistes à prioriser leur responsabilité sociale par rapport au devoir d’informer », fait remarquer Pr Abdoul Sogodogo. Néanmoins, admet l’universitaire, il existe une autre tendance idéologique incarnée principalement par le théoricien politique anglais John Milton, qui défend la thèse selon laquelle, la censure ne sert à rien sous quelque forme qu’elle soit. D’après lui, quand les critiques sont libres, la vérité ne peut que triompher de l’erreur. Et selon lui, on retrouve cette idée dans la célèbre maxime de Beaumarchais qui dit que les faits sont sacrés et les commentaires sont les libres.
Selon le professeur Abdoul Sogodogo, sans aucun doute, la responsabilité suppose que le journaliste, en diffusant l’information, doit penser d’abord aux conséquences sur le corpus social. Pour le chercheur, il ne s’agit ni de mentir, ni de déformer encore moins de travestir l’information, mais comment présenter le message à la société. D’après lui, si une information peut être source de troubles graves à l’ordre public, si en la présentant d’une façon, elle peut compromettre l’essentiel national, c’est-à-dire l’Etat, le journaliste pourrait réfléchir plus d’une fois avant de décider de la diffuser. L’universitaire soutient que le journaliste s’auto-censure provisoirement plutôt que de diffuser cette information. En plus, il précise que le choix des mots est extrêmement important en temps de crise.
Encadrer la presse
A propos de l’encadrement de la presse sans enfreindre la liberté d’informer, l’universitaire n’est pas allé avec le dos de la cuillère.Pour Pr Abdoul Sogodogo, les dérives sur les réseaux sociaux ne sont pas toujours le fait des professionnels de l’information que son les journalistes. Avec le développement des réseaux sociaux, il déplore que tout citoyen soit aujourd’hui diffuseur de contenu. « Il faudrait renforcer la sensibilisation et la surveillance des réseaux sociaux dans le respect du droit positif. Cela suppose un accompagnement de l’Etat sur la problématique de la sanction par les pairs qui a beaucoup plus d’impact psychologique sur les acteurs que le tout répressif », analyse le vice-doyen de la FSAP. Avant de soutenir que l’une des meilleures manières d’encadrer la presse dans le souci de ne pas enfreindre à la liberté d’informer est d’impliquer les journalistes dans cet encadrement afin qu’ils puissent appréhender par eux-mêmes, les conséquences des effets pervers de la diffusion de l’information. Et le professeur Sogodogo de citer la dépénalisation des délits de presse comme par exemple, qui s’inscrit dans cette logique.Selon lui, dans cette dynamique, aucun journaliste ne va en prison pour avoir fait son travail. Ainsi, d’autres sanctions sont mises en exergue.Cependant, poursuit le chercheur,on ne saurait occulter, qu’en substance, tout encadrement juridique est une restriction de liberté ou du droit à l’information ou de la répandre.
La propagande
Concernant les enjeux de la propagande ou de la désinformation en période de crise, l’analyste attire l’attention sur leur impact. Selon lui, Serge Tchakhotine à travers son ouvrage intitulé « le viol des foules par la propagande politique », est sans doute, l’une des premières figures classiques à s’intéresser à la propagande politique. Il explique les mécanismes de la manipulation propagandiste en analysant les raisons du succès fulgurant d’Hitler. Cependant, souligne le vice-doyen, on a longtemps cru que la propagande était le propre des régimes totalitaires alors qu’en réalité, même les régimes démocratiques n’en sont pas épargnés.Il rappelleque dans cet ordre d’idées, Noam Chomsky disait que « la propagande est à la démocratie ce qu’est la violence est à un Etat totalitaire ».
Pour le professeur Sogodogo, la propagande est une véritable arme d’influence entre les mains des gouvernants qui disposent à cet effet de médias publics. Dans ce sens, dit-il, Edward Louis Bernays a montré qu’on peut construire l’opinion publique à travers la présentation et l’interprétation partisanes des faits. « En effet, dans la crise sécuritaire que traverse le Mali, le contrôle de l’information est capital et concentre toutes les énergies. Par conséquent, la propagande constitue un moyen pour galvaniser les troupes, rassurer les populations, les faire adhérer à la cause défendue par ceux qui diffusent l’information », fait-il savoir.
L’universitaire explique également comment gérer intelligemment l’information en temps de crise.En ce qui concerne les journalistes, les animateurs des réseaux sociaux, il rappelle que le respect de la déontologie et de l’éthique s’impose à tous. Selon Pr Sogodogo, en temps de crise, l’observation de ces règles est d’ordre public. Il s’agit simplement d’une démarche de conciliation entre les exigences de la liberté d’information et la nécessité de tenir compte du contexte de crise pour l’information.
L’analyste note des progrès dans la communication des autorités de la Transition. Il fait remarquer que l’Etat a adopté un changement positif dans le traitement et la diffusion de l’information. A titre d’exemple souligne-t-il, la DIRPA est devenue proactive de sorte qu’elle est de plus en plus, la première à annoncer des attaques en cours mais également la première à donner des bilans précis.
Pour le professeur Abdoul Sogodogo, ce changement de paradigme anéantit les suspicions et rumeurs qui peuvent circuler ou surgir pour donner l’impression que les autorités sont dépassées par le cours des évènements.
S. Sidibé